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Déviance

Normaliser la déviance

La normalisation de la déviance a déjà fait l’objet d’un article dans ce blog. L’objectif de celui-ci n’est pas d’en exposer de nouveau la théorie, Diane Vaughan l’a très bien fait, théorie qui permet d’expliquer un fait dramatique récent. Non, il s’agit en fait de répondre aux questions : comment une organisation en vient-elle à normaliser la déviance, et comment s’en sortir ?

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Des observations (personnelles et lues dans des comptes-rendus), il semble que la normalisation de la déviance est un phénomène qui ne peut venir que du sommet hiérarchique (comme dirait Mintzberg) d’une organisation qui, soit la demande, soit la tolère. Cette tolérance est, comme toutes les tolérances, implicite, et nous pourrions alors plagier le psalmiste en disant “pas de parole dans ce récit, pas de voix qui s’entende mais dans toute l’organisation en paraît le message…” ou encore le roi Plantagenêt Henri II qui se serait écrié “qui me délivrera de Thomas Beckett ?” Le sommet hiérarchique joue ainsi sur l’ambiguïté de ses paroles, espérant que l’un de ceux qui l’écoute traduira la remarque en actes. Nous ne sommes pas loin de la société de cour décrite par Norbert Elias… Il semble plus rare qu’il l’ordonne lui-même : ayant conscience de cette déviance, il lui serait loisible de modifier les règles et process en vigueur dans l’organisation. Dans les deux cas (qu’il demande ou qu’il tolère), il est responsable de ce dysfonctionnement qui finira (toujours ?) par se remarquer. Ce faisant, les dirigeants créent autour d’eux une bulle de décision imperméable à tout ce qui ne va pas dans leur sens. La parole devient de moins en moins libre, les collaborateurs ne voulant ni déplaire ni insulter leur avenir…

Dès lors, il est illusoire de penser régler la situation en punissant, ou du moins en tenant pour responsable, un subordonnée qui ne s’est pas conformé aux règles formelles toujours en vigueur. Entendons-nous bien, il est effectivement coupable d’avoir dévié mais, ce faisant, il a des circonstances atténuantes puisqu’il a obéi aux consignes implicites régnant dans l’organisation qui font de la fin recherchée un absolu devant lequel tout doit plier. La satisfaction immédiate de l’objectif devient un tel impératif que, pour l’atteindre, les échelons subordonnés en viennent à créer des processus outrepassant les règles en vigueur. En outre, le châtiment de ce fautif ne réglera pas cette normalisation de la déviance. Si l’organisation veut y remédier, mieux vaut traiter les causes que les symptômes, mais l’effort n’est pas le même. La loi du moindre effort expliquerait qu’il soit estimé préférable de renouveler le rituel de purification via un bouc émissaire, plutôt que de pousser les dirigeants à reconnaître leurs responsabilités.

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Ou alors, charité bien ordonnée commençant par soi-même, se protéger c’est protéger les autres…

En réfléchissant à l’apparition de cette normalisation de la déviance, nous pouvons inférer qu’elle traduit un manque certain de liberté de parole dans l’organisation : les process sont estimés insuffisants ou inadaptés pour tenir les objectifs fixés, mais plutôt que d’évaluer leur pertinence, il est estimé préférable de les contourner. Étrange, n’est-ce-pas ?

Alors, comment y remédier ?

Une fois le diagnostic posé (ce qui n’est pas facile puisque cela revient à reconnaître un dysfonctionnement du sommet hiérarchique), deux moyens semblent utiles pour éviter de retomber dans cette déviance normalisée :

  1. Appliquer dans l’organisation les méta-règles de la fiabilité, telles que Morel et Oury les ont définies en 2010 : voir ici et . La collégialité et le contrôle du consensus sont de bons moyens pour éviter qu’une organisation ne tombe dans la déviance.
  2. Un deuxième moyen, plus hétérodoxe, est la nomination d’un fou du roi au sein de l’organisation. Non pas un bouffon chargé de faire rire, mais une personne qui a l’autorisation de tout dire au dirigeant, à tout moment, y compris les choses désagréables. L’intérêt de ce fou du roi est qu’il ne peut être, par nature, instrumentalisé, à l’inverse d’un comité ou d’une direction de l’éthique qui n’empêche pas les dérives de se produire.

Ceci posé, nous pourrions maintenant prolonger le raisonnement en nous demandant si la normalisation de la déviance mène toujours à la délinquance. Ce sera peut-être l’objet d’un prochain billet…

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