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Organisation

Les piliers de l’organisation

Comment comprendre une organisation et la définir ? Il est courant d’entendre parler de l’ADN d’une entreprise, d’une institution, d’une organisation, sans pour autant que cet ADN soit clairement défini. Un ou deux éléments présentés comme « l’ADN de l’organisation » sont généralement cités, mais les explications ne dépassent pas cette métaphore. De plus, la forte ressemblance des ADN des organisations n’aide pas à les distinguer, alors qu’en génétique, l’ADN est un marqueur unique : deux personnes différentes ne peuvent partager le même ADN, à l’exception des jumeaux homozygotes.

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Ce qui caractérise une organisation

Il est alors nécessaire, si l’on veut cerner précisément une organisation, d’identifier d’autres éléments qui la caractériseront sans prêter à confusion, de manière unique, comme le ferait un véritable ADN. Ce travail a été accompli par Bruno Cayzac, ancien directeur sûreté d’entreprise de Danone puis TNT express, qui estime qu’une organisation se caractérise par trois éléments constituant une suite logique : son histoire, qui définit son cœur de métier lequel conditionne sa culture dominante.

L’histoire tout d’abord : d’où vient l’organisation, à quelle période de l’Histoire a-t-elle été créée, qui est son fondateur, que voulait-il réaliser en la fondant, comment l’a-t-il organisée, comment voyait-il son avenir ? Ces éléments pouvant être publics ou non, il est alors nécessaire dans ce dernier cas de mener un travail d’enquête pour les connaitre.

Ensuite, le cœur de métier ou le secteur d’activité voire le fonds de commerce de l’entreprise : travaille-t-elle dans l’agroalimentaire, la défense, l’automobile, la sécurité, etc. ? Ce cœur de métier indique l’environnement dans lequel l’organisation évoluera, ce qui implique des codes à suivre, des comportements à adopter et influe sur la culture.

Enfin, la culture dominante : l’entreprise met-elle l’accent sur le marketing, la production, etc. ? Cette culture dominante explique le développement des traditions de l’organisation, à savoir la façon dont elles se sont manifestées et formalisées tout au long du développement de l’organisation, leur évolution, ce qu’elles favorisent et interdisent de faire, et de quelle manière elles incitent à agir. Elle se manifeste notamment dans les conventions que chaque membre de l’organisation doit respecter.

Ces trois marqueurs sont bien plus pertinents pour décrire une organisation que les habituels ADN énoncés qui tournent autour du service au client, de la qualité, etc., figures imposées que même les entreprises boudées par leurs clients professent. Ils expliquent également pourquoi des entreprises travaillant dans le même secteur agissent différemment. Selon Bruno Cayzac, Danone et Lactalis se distinguent car le premier a le marketing pour culture dominante alors que c’est la production industrielle pour le second.

Ils déterminent enfin le métier dominant de l’organisation, à savoir celui qui est le plus valorisé, celui qui est considéré comme « noble », celui qui ne sera jamais considéré comme un « sale boulot ». Il sera alors indispensable d’avoir exercé ce métier, ou au moins d’en parler brillamment pour parvenir au sommet de l’organisation.

Ces trois éléments qui éclairent le fonctionnement d’une organisation permettent également de savoir comment elle peut évoluer, à moins qu’un changement de culture ne la modifie en profondeur, lequel changement peut avoir pour conséquence une modification du métier dominant. Ce dernier point s’observe notamment dans l’industrie automobile : jusqu’à présent, les constructeurs donnaient le tempo de l’activité. Le passage au véhicule électrique puis connecté transforment l’automobile en un ordinateur roulant. Si les constructeurs historiques ne changent pas de cœur de métier (s’ils ne passent pas au logiciel), ils seront alors dépassés par des entreprises de logiciels, et relégués à faire le « sale boulot », soit l’assemblage.

Exemples

Ce constat empirique est prouvé par sa confrontation à la réalité des organisations suivantes :

– La république telle que nous la connaissons en France (car ses manifestations peuvent différer d’un pays à l’autre) a une histoire qui s’inscrit en opposition à la monarchie de droit divin (qu’elle a d’ailleurs remplacée) et son principe à savoir le catholicisme. Les querelles passées et actuelles sur la laïcité en sont le témoignage.

Son cœur de métier est le service rendu à chaque citoyen, ce qui explique le développement des services publics tels l’instruction (éducation nationale), le soin (hôpital public et sécurité sociale), le transport (SNCF), etc.

Sa culture dominante est celle de l’administration dont l’efficacité faisait la gloire de la III°. Cette culture a logiquement mené à la création d’une école nationale d’administration (ENA puis INSP) après guerre, dont les anciens élèves ont pris progressivement possession de nombre de leviers du pouvoir lorsqu’ils en ont eu l’âge.

Partant, son métier dominant est celui d’administrateur, entre autres celui de préfet. La manifestation de cette domination se voit dans la profusion de préfets comme directeurs de cabinet de ministres. Cependant, la modification en cours des services publics va très vraisemblablement se traduire par un changement de l’exercice du pouvoir et du métier dominant, puisque le cœur de métier semble être en train de changer.

– L’Église catholique s’est construite à partir du message du Christ, son cœur de métier est l’annonce de ce message (la mission), et sa culture dominante celle de l’amour du prochain. Partant, son métier principal est celui de prêtre, plus précisément celui d’évêque puisque ce dernier a la plénitude du sacerdoce.

La manifestation actuelle de sa crise peut s’interpréter comme la conséquence d’une certaine prise de distance avec son message fondateur, ce qui conduit à un élan missionnaire quelque peu essoufflé et une perte de légitimité des évêques qui ne parviennent pas à régler les questions d’agressions sexuelles et de viols commis par les membres du clergé. Les réformes en cours du pape François relatives à la synodalité interpellent logiquement bon nombre de ses membres, car le métier d’évêque pourrait se recentrer sur le service réel au détriment du pouvoir. Enfin, les viols commis notamment dans les communautés nouvelles posent la question de l’histoire de ces communautés : qui a été leur fondateur, que recherchait-il en fondant, sa démarche s’inscrivait-elle pleinement dans le message du Christ ? Et maintenant, que faire de la fondation et comment lorsqu’il devient manifeste qu’elle est l’œuvre de personnes perverties ?

– L’hôpital public en France a été créé pour soigner tous les malades afin de les rétablir et de résoudre les problèmes de santé publique. Son cœur de métier est celui de la santé pour tous, sans distinction d’origine ou de pathologie, ce qui explique notamment que l’expansion coloniale française s’est accompagnée de la création de dispensaires médicaux dans tous les territoires conquis. Sa culture dominante est celle de la science médicale, et son métier dominant celui de médecin, ce qui explique que pendant longtemps, les hôpitaux ont été dirigés par des médecins ainsi que l’ aura sans commune mesure avec sa personne dont chaque médecin bénéficie.

Nous voyons cependant depuis plusieurs années que s’opère un changement de culture de l’hôpital. Elle passe par petites touches de la science médicale à la rentabilité financière. Par conséquent, les directeurs d’hôpitaux ne sont plus médecins mais administratifs, les soins sont réalisés parfois de manière taylorienne, le temps passé à l’hôpital par le patient doit être rentabilisé et qu’importe s’il n’a pas recouvré son autonomie lorsqu’il est renvoyé chez lui, enfin des lits sont fermés car ils ne sont pas occupés assez longtemps. La création des ARS en 2010 pour « piloter la santé en région » et de l’EHESP en 2004 traduisent ce changement de culture dominante dans le monde de la santé publique en France.

Conclusion

Nous voyons que l’hypothèse de ces trois piliers d’une organisation passe le crible de la réalité, ce qui en confirme la validité. Il peut néanmoins être difficile de les identifier correctement, notamment la culture dominante, car elle peut différer de celle que les dirigeants mettent en avant pour valoriser leur organisation (le fameux ADN de l’organisation).

Il est important de bien connaître ces trois piliers de l’organisation. Cela permet tout d’abord d’analyser une organisation et de comprendre son fonctionnement et ses évolutions. Cette connaissance permet aussi à chacun de déterminer s’il est opportun pour lui de travailler au sein de l’organisation qu’il vise : accepte-t-il de travailler dans une fonction support et non dans le cœur de métier de l’organisation, est-il en phaseavec la culture dominante ? Ainsi, ce que l’on appelle a posteriori une “erreur de casting” lorsqu’une personne ne donne pas satisfaction à son poste et que l’organisation s’en sépare parfois à grands frais, pourrait être en fait une inadaptation réciproque de la personne à la culture dominante de l’organisation. Cette importance de la culture de l’organisation se remarque dans le premier théorème de la direction des organisations qui expose qu’en temps normal, une organisation ne promeut à sa tête que des personnes qui lui ressemblent.

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