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Légitimité

La légitimité de Charles III

La reine est morte, un nouveau roi est appelé à régner… Si la succession s’est passée sans anicroches, il est néanmoins intéressant de se poser la question de la légitimité de ce nouveau roi, si contesté lorsque sa première épouse décéda. Pourquoi donc se poser cette question ? Parce que Buisson nous rappelle que la légitimité est nécessaire à la survie des organisations (Buisson, 2005), et ce alors que le royaume semble bien ballotté, qu’elle constitue un au-delà du droit selon Habermas et que, loin d’être statique, elle résulte d’un processus continu de légitimation (Beaulieu et al., 2002).

Source

Le même Buisson récapitule des définitions de la légitimité selon divers auteurs (Buisson, 2008) qui renvoient toutes à l’immatériel et font implicitement appel à un groupe de personnes qui avalise la légitimité : il ne suffit donc pas de s’affirmer légitime pour l’être, la légitimité passe par la reconnaissance extérieure.

Parsons (1960)

La légitimité correspond à l’évaluation de l’action en termes de valeurs partagées ou communes, dans un contexte d’implication de l’action dans le système social.

Bock (1979)

La légitimité se définit en termes de l’existence d’un consensus qui supporte l’institution, lui confère une sanction légale et même des privilèges spécifiques.

Suchman (1995)

La légitimité est une perception ou présomption généralisée selon laquelle les actions d’une entité sont souhaitables, convenables ou appropriées au sein d’un système socialement construit de normes, valeurs, croyances et définitions.

Deephouse (1996)

Une organisation est dite légitime lorsque ses moyens et ses fins apparaissent comme valides, raisonnables et rationnels.

Kostova & Zaheer (1999)

La légitimité organisationnelle est définie comme l’acceptation
de l’organisation par son environnement.

Zelditch (2001)

La légitimité de toute caractéristique d’une structure sociale est visible par le fait qu’elle est soutenue par ceux qui n’ont rien à y gagner, même par ceux qui bénéficieraient d’autres structures.

S’ensuit qu’au sein d’une organisation, une personne s’affirmant légitime devra être reconnue comme telle par les membres de son organisation (supérieurs et subordonnés), mais aussi par ceux qui œuvrent avec cette organisation. Cette reconnaissance par d’autres personnes prouve également que, quand bien même elle renvoie à l’imaginaire, la légitimité loin d’être une fiction partagée, trouve un ancrage dans la vie réelle (Eraly, 2015).

Les composantes de la légitimité

Il est alors intéressant de nous intéresser à ce qu’Eraly nous dit de la légitimité. Il estime que, pour prétendre à la légitimité, un agent d’autorité doit prouver qu’il dispose d’un savoir utile à la communauté dont il est le chef, qu’il respecte les devoirs de sa charge, qu’il exprime la volonté générale de son groupe et qu’il dispose de pouvoirs spécifiques au service de cette volonté générale (Eraly, 2015). Savoir, devoir, vouloir et pouvoir sont les quatre composantes de la légitimité dont le représentant a les pieds dans le pratico-social et la tête dans l’imaginaire (Eraly, 2015). Avant de passer Charles III au crible de ces quatre composantes, il est utile de confirmer leur pertinence en y soumettant feue Elizabeth II.

  • Disposait-elle du savoir utile à sa communauté, à savoir le Royaume-Uni ? C’est vraisemblable si l’on en croit ceux qui affirmaient que les premiers ministres écoutaient ses conseils.
  • Respectait-elle les devoirs de sa charge ? Assurément, personne ne l’a prise en défaut.
  • Exprimait-elle la volonté générale du Royaume-Uni ? Nous pouvons répondre par l’affirmative dans la mesure où ses opposants l’étaient plus par idéologie que parce qu’ils estimaient qu’elle ne suivait que son bon plaisir.
  • Enfin, disposait-elle des pouvoirs spécifiques à sa charge ? Même s’ils semblent restreints, elle a toujours exercé ses pouvoirs, notamment à l’occasion des récents scandales qui ont ébranlé la famille royale (Megxit, Andrew et Epstein).

Ces critères semblant solides, il faudra alors que Charles III les respecte. Si son avènement s’est effectué sans problème, il lui faut maintenant prouver qu’il maîtrise ces quatre composantes, à moins de se préparer un règne délicat.

Organisation et légitimité

La légitimité n’est pas une caractéristique intrinsèque d’une personne, elle dépend de l’organisation à laquelle la personne légitime appartient : on peut être légitime dans une organisation et, à l’occasion d’une reconversion professionnelle par exemple, perdre cette légitimité. Elle est également réévaluée à chaque action réalisée par celui qui se prétend légitime et, à l’instar du courage, elle n’est pas une “grandeur à seuil” comme l’affirme Soljenitsyne dans l’Archipel du goulag. Nous affirmons même que la légitimité se manifeste de deux façons. Nous distinguons la légitimité d’usage, qui se manifeste dans les situations quotidiennes de l’organisation ou du praticien considéré, de la légitimité d’exception qui se manifeste dans les situations sortant de l’ordinaire pour l’organisation ou le praticien (Davadie, 2020). C’est ainsi qu’un dirigeant peut manifester sa légitimité d’usage sans problème et s’effondrer lorsqu’il lui est demandé de manifester sa légitimité d’exception. Ce fut le cas du général Gamelin, héros de la première guerre mondiale, général incontesté jusqu’à l’offensive allemande de juin 1940…

Au sein d’une organisation, quelle qu’elle soit, il est possible d’apprécier la légitimité tant de la fonction que de celui qui l’exerce. Les cribles auxquels les prétendants passent sont l’hypocrisie organisationnelle (Brunsson, 1989), la fiabilité, la profession, et la fonction manifeste qui est une fonction voulue pour elle-même (Merton, 1953). Le passage par ces cribles successifs nous donne le schéma suivant :

Source : Auteur.

Conclusion

Nous voyons au terme de ce bref billet que la légitimité n’est pas un acquis, et qu’il ne suffit donc pas d’être légitime à un moment pour l’être en permanence. Tel fut le cas de Bouteflika qui, lorsqu’il devint président jouissait d’une légitimité “historique” (au fait, lorsqu’on qualifie la légitimité, n’est-ce pas un symptôme de son faible établissement ?) mais qui fut quasiment renversé à l’occasion du hirak. Ainsi, su-delà du nouveau monarque anglais, ces réflexions sur la légitimité peuvent s’appliquer à toute personne et toute organisation qui se trouvent malmenées par ceux qu’elles sont sensées représenter. Ainsi de la CEF et de ses membres qui se livrent à un étrange ballet.

Bibliographie

Beaulieu, S., Roy, M. & Pasquero, J. (2002). Linking the management of legitimacy and the learning process: evidence from a case study. Third European Conference on Organizational Knowledge, Learning and Capabilities, 5–6.

Brunsson, N. (1989). The organization of hypocrisy : Talk, decisions and actions in organizations. John Wiley & Sons.

Buisson, M.-L. (2005). La gestion de la légitimité organisationnelle : Un outil pour faire face à la complexification de l’environnement? Management Avenir, 4, 147–164.

Davadie, Ph. (2020). Le directeur sûreté, un personnage en quête de légitimité. Thèse de doctorat en sciences de gestion, Paris Assas.

Eraly, A. (2015). Autorité et légitimité. Eres.

Merton R. K. (1953). Éléments de méthode sociologique (traduit de l’américain par Henri Mendras). Paris, Plon.

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