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Organisation

Blaise Pascal et les managers

Récemment, un ami m’a manifesté son étonnement devant la faible qualité managériale d’une grande partie des dirigeants actuels, qui se traduit notamment par la profusion de discours relatifs au mal-être au travail, burn-out, grande démission, etc. sans pour autant qu’on en trouve les causes.

Et si une des raisons des problèmes rencontrés par les employés résidait dans le mauvais management des dirigeants ?

Supposition ô combien iconoclaste en première approche, mais pas si aberrante au vu des réponses des mes étudiants à deux questions classiques : Qui a connu un manager qui s’estimait mauvais ou moyen ? Aucun. Qui a connu des managers mauvais ou moyens ? Grande levée de bras.

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Cette situation est paradoxale au vu du nombre de livres de management publiés. Les chercheurs font leur métier, ils font des découvertes, publient, écrivent des livres qui débordent des rayons des librairies et bibliothèques, mais pourtant l’aisance managériale des dirigeants demeure toujours aussi perfectible.

Une preuve ? Le concept de l’entreprise libérée qui explique aux managers que leurs employés et collaborateurs ne sont pas forcément mauvais et tire-au-flanc, et que si on leur laisse prendre des initiatives de leur niveau, les performances peuvent augmenter.

Si les connaissances managériales existent et qu’elles ne sont pas mises en application, plusieurs causes sont possibles :

– les connaissances sont mal expliquées ou incompréhensibles ;

– les connaissances sont difficiles ou impossibles à mettre en œuvre ;

– les managers n’ont pas besoin de ces connaissances.

Pour avoir lu plusieurs livres de management, et au vu des critiques qu’ils reçoivent, il me semble que les deux premières hypothèses peuvent être abandonnées. Ne resterait alors que la troisième. Pourquoi donc les managers estimeraient ne pas avoir besoin de ces connaissances ? Parce qu’ils estiment être de bons managers (cf. les questions posées supra).

Mais alors, comment est-il possible que les managers se trompent à ce point ?

Surement parce que personne n’ose le leur dire par peur des représailles plus ou moins directes. Pascal (dont nous célébrons le 4° centenaire de la naissance cette année) l’énonçait déjà en son temps : Dire la vérité est utile à celui à qui on la dit, mais désavantageux à ceux qui la disent, parce qu’ils se font haïr. Et pourquoi se feraient-ils haïr pour de telles remarques ? Parce que, de même qu’on dit que le style c’est l’homme, le management c’est l’homme. C’est également une marque de fabrique forte de l’organisation qui a donné des responsabilités à ce manager. Critiquer le management, revient donc à la fois critiquer la personne qui dirige et l’organisation qui l’emploie.

Mais également parce que les managers sont persuadés de bien faire. J’ai recueilli le témoignage d’une personne qui, il y a quelques années, quittant un poste qu’elle occupait depuis seulement un an, a demandé à son manager si le fait que son successeur soit le quatrième en quatre ans ne l’interpelait pas. La réponse a fusé, sans attendre un seul instant : « non ».

Cependant, des indicateurs devraient alerter les managers sur la façon dont leur management est perçu : nombre de démissions, turn-over important, nombre de jours de grève (on parle d’ailleurs peu de cet indicateur…) ?

Afin d’expliquer cette distorsion entre les déclarations des managers et ce que les personnes qu’ils managent ressentent, nous continuerons de solliciter Blaise Pascal.

Sa principale contribution réside dans les trois discours sur la condition des Grands, qui sont un ensemble de discours éducatifs qu’il a tenus au futur duc de Chevreuse, Charles-Honoré d’Albert, probablement vers 1660.

Dans le premier discours, il met en garde le duc, en lui expliquant que, s’il croyait tenir son titre de duc par ses mérites, il n’en est rien car il doit au hasard d’être né dans sa famille : Ainsi tout le titre par lequel vous possédez votre bien n’est pas un titre de nature, mais d’un établissement humain. Ce titre ne le place donc pas au-dessus des autres hommes. On pourrait objecter que le manager ne doit pas son poste à une quelconque filiation, mais à ses mérites qui lui ont permis de faire des études et de monter dans la hiérarchie de son entreprise. Mais cela suffit-il pour penser qu’il maitrise tout ce qui a été découvert sur le management ? Ce n’est pas sûr, et son poste de manager résulte bien d’un établissement humain, d’autres que lui auraient pu également obtenir ce poste.

Le second discours met en garde le duc afin afin qu’il ne prétende pas exiger des hommes ce qui ne vous est pas dû ; car c’est une injustice visible : et cependant elle est fort commune à ceux de votre condition, parce qu’ils en ignorent la nature. Pascal en vient ainsi à distinguer deux grandeurs, les naturelles et celles d’établissement : Les grandeurs d’établissement dépendent de la volonté des hommes, qui ont cru avec raison devoir honorer certains états et y attacher certains respects. (…) Les grandeurs naturelles sont celles qui sont indépendantes de la fantaisie des hommes, parce qu’elles consistent dans des qualités réelles et effectives de l’âme ou du corps, qui rendent l’une ou l’autre plus estimable, comme les sciences, la lumière de l’esprit, la vertu, la santé, la force. Cette différence a pour conséquence une différence de respect et donc de marques de respect envers les personnes : Il n’est pas nécessaire, parce que vous êtes duc, que je vous estime ; mais il est nécessaire que je vous salue. Si vous êtes duc et honnête homme, je rendrai ce que je dois à l’une et à l’autre de ces qualités. Je ne vous refuserai point les cérémonies que mérite votre qualité de duc, ni l’estime que mérite celle d’honnête homme. Mais si vous étiez duc sans être honnête homme, je vous ferais encore justice ; car en vous rendant les devoirs extérieurs que l’ordre des hommes a attachés à votre naissance, je ne manquerais pas d’avoir pour vous le mépris intérieur que mériterait la bassesse de votre esprit. Voilà en quoi consiste la justice de ces devoirs. Et l’injustice consiste à attacher les respects naturels aux grandeurs d’établissement, ou à exiger les respects d’établissement pour les grandeurs naturelles.Cet extrait s’applique parfaitement au sujet en cours. Un dirigeant doit être respecté en tant que dirigeant (grandeur d’établissement) mais ne sera respecté comme bon manager que s’il l’est vraiment (grandeur naturelle). Le problème vient alors de la confusion que font et entretiennent les dirigeants, entre grandeurs naturelles et d’établissement, comme si les grandeurs naturelles accompagnaient forcément celles d’établissement.

D’où peut venir cette confusion ? Pascal y répond par ailleurs : D’où vient qu’un boiteux ne nous irrite pas, et qu’un esprit boiteux nous irrite ? A cause qu’un boiteux reconnait que nous allons droit, et qu’un esprit boiteux dit que c’est nous qui boitons… Ainsi, confondre les deux grandeurs ou estimer que les naturelles viennent avec celles d’établissement est le signe d’un esprit boiteux, qui ne pourra qu’être irrité si on le lui fait remarquer. D’autant que comme on se persuade mieux, pour l’ordinaire, par les raisons qu’on a soi-même trouvées, que par celles qui sont venues dans l’esprit des autres, la probabilité que les remarques d’autrui portent des fruits est faible.

Enfin, le troisième discours est une mise en garde contre les illusions qu’apportent le pouvoir : Qu’est-ce, à votre avis, d’être grand seigneur ? C’est être maître de plusieurs objets de la concupiscence des hommes, et ainsi pouvoir satisfaire aux besoins et aux désirs de plusieurs. Ce sont ces besoins et ces désirs qui les attirent auprès de vous, et qui font qu’ils se soumettent à vous : sans cela ils ne vous regarderaient pas seulement ; mais ils espèrent, par ces services et ces déférences qu’ils vous rendent, obtenir de vous quelque part de ces biens qu’ils désirent et dont ils voient que vous disposez. Ce n’est donc pas parce que le dirigeant, le manager ou le seigneur est intrinsèquement bon que plusieurs se pressent autour de lui, mais parce qu’ils attendent quelque chose en retour de leur obéissance. Cette prise de conscience peut être difficile à faire, elle est néanmoins salutaire selon Pascal : en connaissant votre condition naturelle, usez des moyens qu’elle vous donne, et ne prétendez pas régner par une autre voie que par celle qui vous fait roi. Il peut alors être utile de (re)lire la société de cour de Norbert Elias.

Pascal invite ainsi chaque dirigeant ou manager à se connaitre en vérité, ce qui constitue une réelle difficulté, très vraisemblablement indispensable à l’exercice d’un bon management.

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