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Sûreté d'entreprise

Greta et les directeurs sûreté

Un des thèmes de ce blog est l’examen de la sûreté. Nous avons ainsi exposé son autoportrait, remarqué son isomorphisme avec la science forensique, noté sa difficulté à créer des indicateurs pertinents, posé le fait que son directeur pouvait être vu comme le grand prêtre d’une religion primitive, évoqué la question de son recrutement pour aboutir au fait qu’elle était une innovation en manque d’innovateurs. Les interventions dans des colloques et les leçons tirées de procès récents ne faisant pas bouger les choses, il est alors utile de se demander, puisque la sûreté semble bloquée, si elle ne pourrait pas s’inspirer de la célèbre Greta Thunberg pour faire avancer les choses.

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Une sûreté bloquée

La question du terme utilisé pour désigner cette fonction n’est toujours pas résolue. Sécurité, sûreté, sécurité-sûreté, toutes les combinaisons sont possibles. Ce point n’est pas accessoire, car s’il n’existe pas un mot précis pour définir une chose, comment peut-on discourir utilement sur elle ? Plus concrètement, les salariés d’une entreprise savent-ils à quoi sert la sûreté et ce qu’elle peut faire pour eux ? Rien n’est moins sûr.

« Quand c’est flou, c’est qu’il y a un loup », ce diction se vérifie encore une fois à propos de la sûreté. La présence du directeur sûreté au ComEx demeure un attracteur de pensée, de même que l’origine professionnelle du praticien, occultant de ce fait quasiment toutes les autres interrogations. Le ComEx serait-il alors un trou noir pour la réflexion dédiée à la sûreté ? Ce qui ferait des autres questions pourtant non triviales, telles la formation et les compétences nécessaires à l’exercice du métier, un agréable et négligeable bruit de fond. Notons d’ailleurs que, lors du dernier colloque du CDSE, G. Pépy a estimé que le directeur sûreté devait d’abord représenter le métier de l’entreprise avant d’être un spécialiste de la sûreté. Ceux qui demanderaient des preuves repasseront. Foin des compétences du prétendant, des attendus de l’entreprise, le plus important est qu’il soit du métier, l’entreprise le formera à la sûreté.

Note au lecteur attentif : malgré les apparences, le colloque n’était pas sponsorisé par la célèbre marmotte de Milka…

Quant à l’origine professionnelle du praticien, notons que Haïm Khorsia, lors du même colloque du CDSE a déclaré que 15 minutes après sa conversion, une personne n’était plus une convertie mais un croyant. Sage remarque qui ne vaut pas pour la sûreté, car 10 ans après sa prise de poste comme directeur sûreté, un ancien militaire restera militaire… L’attrait de l’uniforme, sûrement ! Attrait confirmé par les propos d’un recruteur qui reconnaissait que lorsqu’on lui demandait de chercher des prétendants à ce poste, il fallait « que ça brille ». Des étoiles, de l’éclat, du brillant ! De la verroterie aussi ? Lorsque le dirigeant d’entreprise n’a aucune vision stratégique de la sûreté, il est alors vain que ses praticiens affirment qu’elle est stratégique.

La réflexion sur la sûreté n’avance pas, et malgré la valeur de nombre de ses praticiens, l’absence d’intelligence collective des praticiens confirme que nous sommes bien face à une innovation en manque d’innovateurs. Tout se passe comme si des notables avaient succédé à des innovateurs, bloquant toute évolution collective du métier.

Preuve en est que quasiment aucun praticien n’est capable de définir sa fonction en 15 secondes. Preuve supplémentaire, lorsqu’on demande à des praticiens ce qu’ils sont les seuls à savoir faire dans l’entreprise, la seule réponse qui vient est « répondre au téléphone à 4 h du matin en cas de problème. »

Preuve encore que la sûreté n’est pas du tout stratégique puisqu’elle n’agit qu’en réaction à des événements.

Tout ceci est bel et beau, mais Greta dans tout cela, où se cache-t-elle ? Et bien, étudions un peu les raisons de son succès.

Greta décomplexée

Venue de l’extrémité nordique du monde habité, Greta a su s’imposer de manière décomplexée dans un paysage écologique et médiatique qui ne l’attendait pas et qui n’était pas prêt à l’écouter. Un peu comme une entreprise avec un nouveau directeur sûreté…

Comment a-t-elle fait ?

Elle a utilisé un discours simple, facile à comprendre, mobilisateur, usant de formules et d’attitudes percutantes (how dare you…) pour évoquer un sujet qui n’est pas récent. En un mot, elle a disrupté le paysage de la lutte écologique ainsi que son environnement.

Ce faisant, elle a bousculé les habitudes en mobilisant sur un sujet plutôt complexe, et en catalysant un mouvement et une intelligence collective qui ne demandaient peut-être qu’à s’exprimer. Mais nous avons vu précédemment que l’intelligence collective semblait faire défaut à a sûreté.

Catalyseur, elle a su générer une certaine adhésion à ses propos, entraînant à sa suite un nombre important de militants. Il est vraisemblable que nombre de praticiens de la sûreté aimeraient qu’autant de militants de la sûreté les rejoignent au sein de leur entreprise.

Greta est critiquable, comme tout le monde, mais reconnaissons qu’en modifiant le discours et la méthode, elle a fait plus pour la mobilisation écologique que toutes les actions précédentes.

Totalement décomplexée, assumant le caractère disruptif de son action, Greta est ainsi exemplaire et source d’inspiration pour les praticiens qui voudraient développer la sûreté dans leur entreprise.

Greta, entrepreneuse de morale

Il ne suffit cependant pas de disrupter le discours et la méthode, encore faut-il assurer le service après-vente. Une façon de le faire est de devenir « entrepreneur de morale » tel que Becker les décrit dans Outsiders, ce que Greta a très bien compris et mis en œuvre.

Pour décrire ces entrepreneurs, Becker part de la définition que Parsons donne au terme valeur : « on peut appeler “valeur” un élément d’un système symbolique qui sert de critère pour choisir une orientation parmi les diverses possibilités qu’une situation laisse par elle-même ouverte. » La sûreté peut ainsi être vue comme une valeur qu’il est indispensable d’inscrire dans l’entreprise. Greta a, pour sa part, choisi l’écologie.

Ceci fait, et reconnaissant l’inadaptation des valeurs pour orienter l’action dans des situations concrètes, les groupes sociaux voulant défendre cette valeur vont élaborer des normes dérivées des valeurs qui vont jouer le rôle de principes ultimes : la décarbonation, la frugalité en sont des exemples.

Ces principes établis, les mêmes groupes sociaux vont alors créer une nouvelle pièce dans l’organisation de la société, plus particulièrement dans son code du bien et du mal. L’objectif n’étant pas une simple observance des nouvelles normes, mais leur intégration par chacun. Ce que Greta fait depuis plusieurs années, et ce que les praticiens de la sûreté ne font pas, préférant répéter sans cesse qu’il est indispensable de « sensibiliser » tout le monde à la sûreté.

Pourtant, faire comprendre à toute l’entreprise que la sûreté, c’est bien, et que l’absence de sûreté, c’est mal, n’est-ce pas un des objectifs des directeurs sûreté ? Pour quelles raisons n’agissent-ils alors pas ainsi ?

Conclusion

Si la sûreté d’entreprise veut se développer et être reconnue comme stratégique, il lui faut impérativement sortir des sempiternelles questions de forme dans lesquelles ses opposants se complaisent à l’enfermer pour se concentrer sur le fond : quelle est-elle, qu’offre-t-elle à l’entreprise et quelle est sa chaîne de valeur.

Adopter une telle attitude serait en rupture avec ce qui a été réalisé jusqu’à présent. C’est en cela que Greta peut être un exemple pour la sûreté : elle a abordé une vieille question d’une manière nouvelle pour faire adopter des normes que tout le monde, y compris les entreprises, doit adopter.

Reste à savoir si les praticiens de la sûreté et leurs organisations professionnelles ont cette envie.

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