L’organisation clanique
Lorsqu’une organisation dysfonctionne, les conséquences sur son image peuvent être dramatiques. Pourtant, le temps consacré au constat et à l’analyse du problème est bien plus restreint que celui consacré à la « solution ». C’est un dysfonctionnement supplémentaire, car ces solutions sont le plus souvent temporaires, et il devient alors urgent de trouver une nouvelle solution lorsque les effets de la précédente se sont dissipés. Cela rappelle l’hypocrisie organisationnelle qui, lorsqu’elle est découverte, nous dit Brunsson, doit être remplacée par une nouvelle pour que les partenaires de l’organisation continuent à croire au discours qu’elle prononce, ainsi que Crozier qui déplorait la faiblesse numérique des « hommes-problèmes » (aptes à analyser et résoudre un problème) par rapport à la pléthore des « hommes-solutions » qui, quelle que soit la nature du problème, ont toujours une solution prête à l’emploi.
Le remède aux problèmes et difficultés rencontrés ne provenant que rarement d’une seule personne, il est utile de faire appel à son réseau pour trouver la solution la plus adaptée. Néanmoins, le réseau peut parfois être lui-même source de problèmes lorsqu’il s’apparente (ou qu’il est devenu) un clan ou une organisation clanique. Le clan n’est pas un inconnu en sciences de gestion, car il a déjà été étudié, notamment par William G. Ouchi (1979).
Définir le clan
Ouchi introduit la notion de clan à partir de l’étude des opérations de contrôle. Il estime qu’elles peuvent être réalisées soit par le marché, soit par la bureaucratie, soit encore de manière clanique lorsqu’il s’agit de contrôler un processus de transformation mal connu et qu’on ne peut contrôler par le comportement, la production ou ses résultats. Ses travaux ont mené à définir ainsi le clan : « Le clan se fonde sur la socialisation. Une fois les individus socialisés, ils prendront les habitus et les comportements appropriés du clan en accord avec les buts du groupe ou de son leader. Cette culture du clan sera concrétisée par les valeurs, les symboles, les pratiques de production et de relation sociale, etc. qu’une fois partagés apporteront la confiance et la solidarité indispensables à toute coopération. L’autorité sera perçue comme légitime. » (Cuevas et al., 2017). Pour Ouchi, le contrôle clanique ne repose pas sur une forme rationnelle, mais sur des rites et des coutumes. Une telle démarche se rencontre de nos jours dans des organismes tels que les hôpitaux, les écoles, les banques d’affaires. Néanmoins, pour être efficace, le contrôle par le clan nécessite une très grande stabilité de son effectif, ce qui laisse entrevoir sa fermeture au monde extérieur.
Des anthropologues ont également travaillé sur les clans, notamment dans les sociétés primitives et celles antérieures à la nôtre. Le clan y est un grand groupe familial, souvent décomposé en lignages et sous-lignages, qui tient sa fortune de sa puissance militaire, de la variété de ses revenus, d’un recrutement régional limité et donc de la force des liens de voisinage, ainsi que d’une vie commune très étroite (Heers, 1993). Le clan médiéval s’affirme en Europe dans les années 1300, alors qu’il semble plus ancien dans les sociétés primitives, dépendant parfois du mode de vie, notamment pastoral (Sow, 2001). Les signes extérieurs du clan anthropologique sont la solidarité, les fêtes, une influence sur les affaires de la cité, caractéristiques que l’on retrouve dans les organisations claniques en sciences de gestion, puisque le clan se contrôle selon des rites, il privilégie la discussion en multipliant les lieux de débat (réunion) et les codes sont transmis oralement sans lieux ou moments de transmission officielle (Barth, 2023).
Les caractéristiques de l’organisation clanique
L’observation de diverses organisations, qu’elles soient des entreprises, des associations, dédiées à la défense d’intérêts professionnels ou catégoriels, confirme la définition énoncée supra et permet de préciser les caractéristiques de l’organisation clanique.
Un point important de l’organisation clanique est son auto-centrage par la défense prioritaire de ses intérêts. Elle est donc conservatrice par essence et ne favorise pas la culture du débat en son sein. Il n’y a pas d’opposition interne car le clan ne saurait la tolérer, il n’y a que des dissidents qui peuvent être durement pourchassés jusqu’à leur exclusion du clan. De ce fait, il est rare qu’une telle organisation innove (ou elle ne le fait que marginalement), car l’innovation nécessite une certaine liberté de pensée et d’action. Le paroxysme de l’organisation clanique est atteint lorsque la chasse aux dissidents prend une dimension attentatoire aux libertés humaines pouvant aller jusqu’à leur exécution.
Présenter l’organisation clanique uniquement via le point paroxystique évoqué précédemment serait réducteur, car tous les clans ne font pas appel à des tueurs à gages. Une organisation on ne peut plus normale peut avoir dévié de son but initial et s’être transformée en clan. Elle continuera d’affirmer qu’elle défend l’objectif qui a présidé à sa constitution, mais les faits montreront qu’il est devenu secondaire par rapport à la perpétuation du clan. Dans ce cas de figure, l’organisation en vient à oublier, partiellement ou totalement, ses objectifs initiaux.
Au sein du clan, l’importance accordée à l’oralité fait que les nombreuses réunions n’aboutissent pas toujours à une décision claire, ralentissant ainsi le développement des projets. Elle se remarque également dans le fait que les codes essentiels ne sont transmis explicitement qu’aux seuls membres du clan. Cette transmission sélective justifie l’explication des échecs professionnels par l’expression « c’était une erreur de casting » qui permet de cacher le fait que la personne qui a échoué ne s’est pas fait expliquer correctement les codes, ne les a pas intégrés ou les a refusés. Dans les faits, ce recours à l’oralité implique une ambigüité certaine (qui permet justement de distinguer ceux qui ont assimilé les codes des autres) et il n’est pas rare qu’un dirigeant déclare que tout est possible alors qu’il connait parfaitement les limites de l’action envisagée.
Pour limiter ces erreurs de casting, les nominations sont le résultat d’un compromis dans lequel l’allégeance au clan prime. A compétences égales, c’est le plus loyal qui sera choisi, car il sera estimé le plus fiable et le moins dangereux. Les nominations ne peuvent être qu’opaques et pipées, puisqu’il faut à la fois (et avant tout) séduire et rassurer le chef de l’organisation clanique. Plus le niveau de la nomination est élevé, plus la loyauté sera recherchée. Aucun critère de réussite justifiant les promotions internes n’est clairement exposé, empêchant qu’on en discute et qu’on distingue au mérite. Une promotion sera justifiée par la « parfaite réussite » des intéressés à leurs postes précédents, comme si la réussite pouvait être imparfaite… Il découle de cela que lorsque la nomination d’une personne extérieure au clan est envisagée, elle suscite des oppositions.
Ici apparait l’élément central du clan : son chef. C’est en effet à lui que doit aller la loyauté de ses membres, loyauté inconditionnelle allant jusqu’à la défense du chef lorsqu’il est accusé, toujours injustement d’ailleurs. C’est lui qui prononce la réussite (parfaite ou imparfaite), qui nomme aux postes clés (selon des critères qui lui sont propres, dont la loyauté à sa personne en premier lieu), qui définit les valeurs à respecter, les rites et les coutumes en vigueur et qui, quoiqu’il arrive, sera toujours reconnu comme légitime, quand bien même la légitimité n’est pas acquise. De cela découle le fait qu’un chef de clan tend à le rester le plus longtemps possible, car it’s good to be the king et ce peut être tellement grisant d’avoir des subordonnés prêts à devancer vos moindres désirs.
Au sein de chaque clan règne un contrôle mutuel fort (chacun vérifie la loyauté de l’autre) qui engendre un certain esprit de corps. Ce dernier repose sur une confiance idéale (Bornarel, 2007) qui justifie la violence des exclusions car la confiance que le chef mettait en son subordonné a été trahie. Aucune explication ne sera donnée à la personne réprimandée à part l’usage des expressions « je m’attendais à mieux de votre part », « vous m’avez déçu » qui prouvent l’importance de la loyauté attendue.
De tout ceci résulte que lorsqu’un problème survient (car toute organisation y est confrontée) son règlement s’accommodera toujours de la vérité, car la survie de l’organisation clanique est au-dessus de la vérité (Qu’est-ce que la vérité, avait d’ailleurs questionné Pilate…) et lorsque l’omerta n’est plus possible, le problème sera minimisé, étouffé, nié (il n’y a pas d’affaire X), ne sera jamais exposé en détail, et pourra donner lieu à une « promosanction » pour montrer qu’on a puni, mais sans insulter l’avenir du membre de l’organisation clanique. Il n’y a ainsi pas d’apprentissage des erreurs commises, car le clan n’admet pas d’erreurs, et lorsqu’il les reconnait, il préfère expulser le fautif déloyal qui était d’ailleurs une erreur de casting.
In fine, si les clans peuvent parfois donner l’impression qu’ils sont réformables car ils sont prêts à l’affirmer haut et fort pour continuer à prospérer, ces réformes s’effectuent toujours à la périphérie du clan : elles ne touchent jamais leur mode de fonctionnement interne ce qui permet leur acceptation par le chef du clan.
Toutes les organisations sont-elles concernées ?
Cette description peu flatteuse du fonctionnement des clans (ce ne sont pas des dérives mais un mode de fonctionnement normal car choisi délibérément) pose la question de savoir si toutes les organisations peuvent dériver de manière clanique.
Les caractéristiques du clan, telles qu’énoncées supra, montrent qu’elles sont d’une banalité étonnante dans les organisations actuelles. La défense prioritaire de ses intérêts, l’importance de l’oralité, l’exigence de loyauté des membres, l’absence de critères clairs présidant aux nominations, le contrôle mutuel et les entorses faites à la vérité lorsqu’un problème surgit sont en effet d’une confondante banalité. Point n’est besoin que l’organisation soit une mafia ou une organisation criminelle pour être guettée par une dérive clanique. De plus, comme les organisations ne nomment à leur tête que des personnes qui leur ressemblent (cf. ce billet), il est fort logique qu’à terme, un certain repli de l’organisation sur elle-même et un certain refus d’ouverture soient constatés. En outre, n’oublions pas que le repli sur soi est une tendance commune, malgré la profusion de discours vantant l’ouverture et la diversité, surtout lorsque des difficultés surgissent.
Le fait que toutes les organisations sont concernées par la dérive clanique ne signifie pas que toutes deviendront des clans, encore moins des organisations criminelles. Elles peuvent le devenir ou laisser grandir un clan en leur sein, parce que cela sert initialement leur but, même si lorsque le clan devient trop puissant il est alors trop tard pour le regretter. La question de l’utilité des clans au sein d’une organisation se pose alors. Comme il est difficile de les réformer (cette difficulté se remarquant dans la quasi impossibilité à sanctionner les membres importants du clan), faut-il les conserver au risque de divergences croissantes d’intérêt entre l’organisation et eux, ou s’engager dans une lutte potentiellement longue et difficile pour les supprimer sans avoir l’assurance qu’ils ne subsisteront pas ? Les conserver est envisageable dans la mesure où l’on estime que leur esprit de corps permettra à l’organisation de tenir lors des situations dégradées. Le manager parie ainsi que la bienveillance qu’il adopte envers le clan sera payée de retour lors de situations difficiles. Comme tout pari, il n’est pas certain qu’il soit gagnant : un chef de clan peut-il accepter indéfiniment l’autorité d’une personne au-dessus de lui, surtout lorsqu’il se rend compte que son soutien est vital ?
La clanisme est-il une déviance ?
Puisque toutes les organisations sont concernées par cette dérive clanique, nous pouvons nous demander si cette dérive constitue une déviance (sujet amplement abordé dans ce blog).
En faisant preuve d’un certain sens moral, nous pouvons répondre par l’affirmative à cette question : le but initial de l’organisation devient secondaire par rapport à l’objectif de survie du clan. Mais d’un point de vue organisationnel, comme des organisations se satisfont de ce type de fonctionnement, nous ne pouvons affirmer que c’est une déviance puisque c’est justement ce qu’elles recherchent. En outre, les règles implicites de l’organisation ne sont pas bafouées, mais au contraire respectées, quand bien même elles pourraient heurter le sens commun. Comme nous mettons de côté dans ce billet le cas des organisations criminelles, nous pouvons alors établir qu’une organisation clanique est une organisation dans laquelle la déviance a été normalisée en matière de recrutement, de promotion et de règlement des problèmes internes. En bref, une organisation clanique l’est parce que sa gestion des personnes l’est devenue.
Comment y remédier ?
Il peut être tentant d’esquiver cette question en affirmant qu’une organisation clanique ne cherche pas à quitter cet état de fait. Cependant, il existe des organisations, devenues claniques ou se rendant compte qu’elles le sont devenues, qui, prenant conscience de l’écart entre ce qu’elles sont et ce qu’elles devraient être, souhaitent retrouver leur élan d’origine. Un précédent billet exposait quelques éléments pour remédier à la normalisation de la déviance, mais dans le cas d’une organisation clanique, ces éléments ne suffisent pas.
Le premier point consiste à constater la déviance de l’organisation par rapport à ses objectifs initiaux et la normalisation de la déviance. Il est ensuite indispensable d’identifier les causes de cette normalisation, de rappeler clairement l’objectif initial de l’organisation puis de mettre en œuvre une démarche d’amélioration continue, car les annonces ne suffiront pas.
Ceci fait, il sera alors possible de réformer l’organisation. Cela passera nécessairement par une ouverture à des personnes extérieures au clan (fin du repli sur soi), un appel à des avis et conseils extérieurs, une attention aux victimes des agissements passés (donc une réparation des torts causés) et par une rupture avec le mensonge, comme le préconise Soljenitsyne dans Révolution et mensonge : « Car la violence ne peut s’abriter derrière rien d’autre que le mensonge, et le mensonge ne peut se maintenir que par la violence. » « Car lorsque les hommes tournent le dos au mensonge, le mensonge cesse purement et simplement d’exister. Telle une maladie contagieuse, il ne peut exister que dans un concours d’homme.«
Se posera cependant la question des personnes qui se sont laissées corrompre, par calcul ou par dépit, par ce fonctionnement clanique. La tentation de les laisser en place au motif de leur expérience et de leur compétence peut exister lorsqu’elles sont objectivement performantes, mais que faire si elles « rechutent » en perpétuant leurs agissements claniques ? Il est également possible de limoger tous les dirigeants, au risque d’être injuste, en supposant que dans un milieu clanique tout le monde adhérait à la pensée du clan. Une autre solution envisageable est d’instituer une commission du type vérité et réconciliation devant laquelle chacun pourra reconnaitre ses manquements en échange d’une peine adoucie, dans la mesure où l’étendue des crimes le permet. Ou alors s’inspirer des lois anti-mafia qui ont été (entre autres) un aboutissement de la mobilisation de la société civile, notamment via le mouvement addiopizzo mais il est plus difficile de l’imaginer au sein d’une entreprise.
Des exemples
Parce qu’il est toujours plus simple de commencer par la fiction, nous citerons en premier lieu la série Anatomie d’un scandale qui, à partir d’une accusation de viol portée contre un ministre de Sa Majesté, expose le fonctionnement clanique d’un club so british qui, notons le, revendique la pratique de l’omerta.
Si nous nous plongeons dans le monde réel, nous remarquons qu’après la publication du rapport Sauvé, le président de la conférence des évêques de France a livré un entretien dans Le Figaro, dans lequel il expose un certain nombres de mesures nécessaires pour sortir de cette dérive clanique. Jugez-en vous-même :
Le 5 octobre, jour de la publication, nous avons alors vécu un changement total de dimension et un très grand bouleversement intérieur… Nous avons alors mieux pris conscience de l’ampleur des souffrances et des vies abimées et brisées. D’un coup, nous avons quitté notre monde de précautions, de prudences, de conservations pour entrer de plain-pied dans la réalité de ce qui nous était décrit. D’où la vigueur de notre assemblée et de ses décisions.
(…) Avant d’évoquer les mesures je voudrais insister sur le pas décisif que nous avons franchi en reconnaissant la responsabilité institutionnelle de l’Église et notre reconnaissance d’un système ecclésiastique qui n’a pas su voir, faire attention et accompagner les victimes.
(…) Second aspect : nous avons compris mieux que jamais que nous, évêques, nous Église, avions besoin d’être aidés par les fidèles mais aussi par la société. Nous avons péché par la volonté de traiter ces choses par nous-mêmes en croyant que nous avions en nous-mêmes les ressources pour le faire. Il nous faut accepter ce va-et-vient d’idées, de compétences, entre la société, nous-mêmes et l’Église. L’Église n’a pas à s’occuper de tout. Elle n’en a pas la capacité.
(…) Ce que nous voulons vivre, c’est la vraie Église du Christ qui ne peut pas être une institution qui se protège. La vraie Église du Christ ne peut pas être une institution qui accepte et tolère des crimes commis en son sein. Non ! Ce n’est plus possible. (…) Nous avons la foi et nous devons avancer sans nous inquiéter. Il y aura un mouvement d’abaissement, d’appauvrissement, nous devrons certainement quitter des choses. Cet appauvrissement et abaissement nous y consentons de bon cœur ! Ce qui compte pour nous, c’est d’être des disciples du Christ, ce n’est pas d’être des gardiens de l’Église.
(…) Sauf que nous avons dû comprendre que nous avions laissé prospérer un système qui n’était plus fidèle au Christ Jésus. Cette branche malsaine, il fallait la couper. Vous savez, il y a quelque chose qui n’allait pas. Beaucoup d’entre nous ont du mal à dormir la nuit. Il était temps de changer de cap et de redresser la barre. Nous repartons chargés de cette responsabilité dans nos diocèses mais libérés.
Dans le même ordre d’idées, le discours de clôture de l’assemblée de Lourdes pointait aussi du doigt des dysfonctionnements et des moyens pour y remédier. Le cardinal de Kesel expose pour sa part que Le problème vient aussi d’une Église qui essaie de tout régler en interne pour protéger l’institution. Elle tente de se sauver mais ainsi, selon la parole de Jésus, elle est en train de se perdre. Cette Église « cléricale » prend de grands risques. Cette culture du silence est aussi dénoncée par l’évêque de Bayonne : Nous sortons progressivement d’une culture de la minimisation, voire du déni, en tout cas du silence qui a été largement partagé au sein de notre société, y compris dans les familles, mais qui représente pour l’Église, à commencer par les évêques, un immense défi à relever. Notons que s’il est facile de taper sur l’Église catholique en France à propos des scandales sexuels (car tout n’est pas encore réglé), cette organisation n’en a pas le monopole et le Danemark, pays assez peu catholique (au sens premier du terme) fait face à un scandale sexuel d’un autre type : la stérilisation forcée des Groenlandaises.
Les rebondissements de l’affaire Duhamel et ses retombées sur l’élection du directeur de Sciences Po sont une autre illustration de ce qui a été exposé supra. Silence, tentative de règlement purement interne de l’affaire, promesse de transparence pour finalement élire à sa tête un membre du sérail, ne peuvent que laisser songeur. Un article du Point évoquait ces éléments : Entre amusement et consternation, ce directeur d’un Institut d’études politiques en région décrit le psychodrame qui secoue depuis plusieurs mois la maison mère parisienne : « Vous avez dans cette élection tous les ingrédients d’une bonne vieille série : du sang, de l’argent, du pouvoir et des coups bas… Ce n’est pas l’université, c’est Dallas ou Dynastie ! » L’élection dont parle ce cousin de province est celle du directeur de Sciences Po Paris, un poste vacant depuis plusieurs mois après le départ précipité de Frédéric Mion, en début d’année. Pris en flagrant délit de mensonge sur les informations dont il disposait sur les accusations d’inceste visant le politologue Olivier Duhamel – un pilier de la maison -, M. Mion, conseiller d’État de son état, a démissionné le 9 février dernier. Pourtant, d’autres candidatures de qualité existaient. Mais le processus de recrutement n’a pas convaincu tout le monde selon les Échos Nombre de candidats éconduits s’interrogent : « Pourquoi avoir demandé une expérience dans l’enseignement supérieur alors que ce n’est pas le cas de chacun des candidats retenus ? » demande l’un. « Pourquoi un tableau a-t-il fait état de pièces manquantes pour certains dossiers ? » interroge un autre. (…) « Il n’y a pas de manque de transparence, on essaie de faire les choses le plus correctement possible », assure un haut responsable de Sciences Po.
Notons en passant que les organisations claniques ne sont pas des spécificités masculines, il existe également des organisations claniques on ne peut plus féminines C’est tout à fait fascinant, souligne l’auteure, de voir comment, dans ces entités, ces femmes sont les maitresses sans rivalité d’une société où n’existent ni père ni mari, où elles structurent la vie économique et sociale sans que leur autorité soit remise en cause
Conclusion
D’autres exemples existent et leur recension exhaustive serait fastidieuse. Il est cependant intéressant de constater que, même si toute organisation abrite une certaine part de déviance en son sein car les règles ne peuvent être parfaites ni prévoir toutes les possibilités, l’acceptation de la déviance peut mener non seulement à sa normalisation mais également à un fonctionnement de type clanique par lequel l’organisation tourne le dos à ce pour quoi elle a été créée.
Lorsqu’il dirige une organisation au sein de la quelle un ou plusieurs clans prospèrent, le manager ne peut que s’interroger : faut-il les laisser exister car ils se sont montrés jusqu’alors efficaces, sachant que l’efficacité n’est pas mesurée de manière rationnelle (Ouchi, 1979), les laisser prospérer en espérant qu’ils se montreront résilients dans les moments difficiles, ou encore les briser pour revenir à une certaine normalité ? Aucune des hypothèses présentées n’est rassurante ni facile pour le dirigeant. Cependant, celle consistant à s’appuyer sur eux en leur fixant des limites demeure dangereuse, car c’est jouer avec le feu.
Bilbiographie
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