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La France malade du retex

Le retex (également dénommé rex), c’est le retour d’expérience, à savoir l’analyse  des causes d’un échec plus ou moins relatif qui vient d’arriver ainsi que l’identification de pistes réalistes d’amélioration. Si toute organisation déclare le mettre en œuvre régulièrement afin d’améliorer ses résultats voire son fonctionnement, il semble cependant que bien souvent ces déclarations n’ont d’importance que celle que celui qui les reçoit veut bien leur donner, à l’instar de “la sûreté est stratégique”, il faut “placer l’humain au cœur de l’organisation” ou “manager avec bienveillance”, tous lieux communs qui rempliraient les pages d’un nouveau dictionnaire des idées reçues dédié au management ou à l’organisation. Puisque le changement semble être lent à venir, nous pouvons nous demander si ces déclarations ne sont pas que des paroles, paroles, paroles, comme le chantait Dalida, car les enquêtes et discussions montrent que les réels retex sont bien peu souvent mis en œuvre. Les trois situations infra nous aideront à identifier des éléments expliquant le mauvais état général du retex en France.

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Paris est magique !

Prenons comme premier exemple la récente victoire du PSG en coupe d’Europe de football. Événement auquel le club travaillait depuis sa reprise par le Qatar, qui a fini par arriver, même si c’est plus tardivement que ce que la direction espérait. Félicitations aux champions mais, comme cela avait été anticipé par les forces de l’ordre et un certain nombre d’observateurs, des troubles (qu’en termes délicats ces choses-là sont dites) donnant lieu à des batailles rangées, des dégradations sur la voie publique et des incendies volontaires de voitures ont eu lieu. Certaines images sont désolantes. Suite aux premiers incidents, la réaction est toujours la même : condamnation ferme des auteurs (qui donc les condamne mollement ou du bout des lèvres ?) et hommage appuyé au courage et à l’abnégation des pompiers, forces de l’ordre, élus, éducateurs et autres personnes qui ont tenté de calmer le jeu. Ces réactions attendues n’ont étonné personne.

La question qui se pose est de savoir pourquoi ces événements similaires à ceux observés lors du passage d’une année à l’autre continuent de se dérouler, comme si une malédiction les accompagnait liée. L’observation montrant que ce n’est pas le cas partout en Europe, la question du retex se pose. A-t-il eu lieu, quelles leçons ont été tirées de ce type de débordements, comment peut-on lutter contre ? Question d’autant plus pertinente qu’il est possible d’arrêter en toute sécurité les fauteurs de trouble. Dans le cadre de ses travaux de recherche et développement, un laboratoire d’analyse forensique en région parisienne a mis au point un marqueur à distance qui envoie sur une personne des produits de marquage codés. Une bille de type paint ball stockant ces produits liquides éclate au contact avec le corps (la douleur est similaire à celle d’une petite piqûre), les produits traversent les vêtements et demeurent sur la peau de la personne plusieurs jours, même si elle se lave régulièrement. En couplant ce tir à une capture vidéo de la scène, il est possible d’identifier formellement l’auteur des faits reprochés. Notons qu’une expérimentation réussie a déjà eu lieu, il ne reste plus qu’à généraliser l’emploi de ce dispositif. L’attention de plusieurs responsables nationaux a déjà été attirée sur cette innovation de faible coût, mais rien ne se passe.

Comment expliquer cet attentisme nuisible à une partie de la population ? Par le fait que ceux qui peuvent faire changer les choses ne le souhaitent pas. Ainsi Becker écrit dans Outsiders “les normes sont donc transgressées impunément parce que deux groupes se disputant le pouvoir – la direction et les travailleurs – trouvent leur avantage mutuel à fermer les yeux sur ces transgressions.” (p 150). Pour pouvoir continuer à fermer les yeux, rien de mieux que de dénigrer une innovation afin de ne pas avoir à la mettre en œuvre.

Les violences sur mineurs

Il y a quelques semaines, la commission des affaires culturelles et de l’éducation de l’Assemblée nationale a créé une commission d’enquête chargée d’étudier les modalités du contrôle par l’État et de la prévention des violences dans les établissements scolaires publics et privés. Dans ce cadre, 140 personnes auront été entendues, des milliers de pages de documents auront été collectées, ses conclusions sont attendues à la fin du mois de juin. S’il n’est pas possible de présager des recommandations qui seront faites, il est cependant possible de se poser quelques questions sur ce qui constitue un retex particulier.

Si la commission visait à s’assurer que l’État travaillait correctement pour prévenir les violences scolaires dans les établissements publics et privés, l’accent a été particulièrement mis sur le privé, plus particulièrement sur l’établissement scolaire de Bétharram. Au vu des récentes révélations sur les violences qui y ont eu lieu, il est logique que son cas soit étudié. Cependant, l’audition particulièrement médiatisée du premier ministre et son déroulement parfois musclé ont accru la focalisation sur cet établissement. Il serait dommage que Bétharram soit l’arbre qui cache la forêt, car il est difficile d’imaginer qu’il a été le seul théâtre de violences sur des élèves mineurs. D’ailleurs, lors d’une récente conférence (en présentiel et en vidéo) de Jean-Marc Sauvé, ce dernier a déclaré qu’il était assez peu entendu dès lors qu’il parlait de violences sur des mineurs n’ayant pas eu pour cadre un milieu catholique.

La désignation d’un bouc émissaire est ainsi une des raisons pour lesquelles le retex manque sa cible. Ses préconisations ne seront pas totalement fausses, mais le biais de raisonnement sera tel qu’il les amoindrira.

Nous pouvons également nous demander, puisqu’il s’agit de violences exercées sur des mineurs, si les conclusions de cette commission parlementaire seront rapprochées de celles de la commission parlementaire qui vit le jour après l’affaire d’Outreau. On peut arguer du fait que pour Outreau il s’agissait de déterminer comment et pourquoi la justice avait failli alors que pour Bétharram il s’agit d’étudier les manquements de l’Éducation Nationale, mais les deux cas concernent les services de l’État et des violences commises sur des mineurs. Un des chapitres du rapport relatif à Outreau s’intitule d’ailleurs le signalement des maltraitances et des abus sexuels : une réaction tardive, conséquence de cloisonnements excessifs, un autre la parole et le traitement des enfants : un défaut de prudence et de méthode, et une recommandation préconise de redéfinir les conditions du recueil des déclarations des enfants. Il est souhaitable que des points communs entre les deux affaires soient exploités.

Nous voyons que ne pas tirer les leçons d’un précédent retex (le fameux travail en silo) nuit à la pertinence du suivant.

En entreprise

La pratique du retex en entreprise s’avère fort disparate. Les lignes qui suivent sont tirées de ma thèse de doctorat, et aucun fait nouveau ne permet de les remettre en question.

La difficulté de la pratique n’est le plus souvent reconnue qu’implicitement. Cela passe par des affirmations telles que « on essaye de tirer quelques leçons », « c’est informel », « on le fait parfois peut-être de manière un peu rapide » ou alors il est effectué de manière « très sommaire ». Il n’y a donc pas de dénégation, mais les termes employés tiennent de la litote. Un seul praticien a reconnu la difficulté de la pratique : c’est très difficile de faire des retex en entreprise, c’est extrêmement difficile parce que les gens y sont totalement réfractaires. Une autre difficulté explicitement nommée est la faible fréquence avec laquelle des solutions sont mises en œuvre après le retex, diminuant ainsi la portée de l’exercice. Ceux qui déclarent se livrer à la pratique ne minimisent pas pour autant sa difficulté. Ils en reconnaissent la difficulté « c’est un sujet qui n’est pas simple le retex » et avouent le faire « de manière simplifiée, comment dire, et empirique » mais rarement dans les règles de l’art. À défaut d’en faire un complet, ils essaient de tirer les enseignements des problèmes rencontrés.
Quelques-uns cependant déclarent se plier à l’exercice, quand bien même il est contraignant, la formalisation des leçons du retour d’expérience dépendant parfois du thème abordé (entretien n° 15) : Si c’est sécurité physique ou intellectuelle oui, si c’est sécurité informatique non, on ne laisse pas de trace de ce genre de chose. Parce qu’on s’aperçoit que plus on documente et plus on laisse de traces sur la sûreté informatique, plus on ouvre de brèches à d’éventuels pirates. Ces pratiques ne sont pas réservées aux échecs constatés, elles peuvent aussi avoir lieu après un succès, ce qui prouve leur caractère systématique (entretien n° 2) : Un retour d’expérience il n’a pas besoin d’être mauvais. Le secteur aérien demeure un cas à part, du fait de la réglementation en vigueur et du caractère dramatique des conséquences d’un accident. La pratique du retex en cas d’incident de sûreté est systématique pour non seulement éviter qu’il se reproduise, mais aussi pour remonter le niveau de vigilance tant au niveau des équipes que du management de l’entreprise.

Dans ce cas, le manque de temps est le plus souvent avancé pour justifier l’absence ou la rapidité du retex. Cette excuse ne se remarque pas seulement dans l’entreprise, elle est également évoquée dans toutes les organisations qui estiment être “dans l’action”, comme si le fait d’être plongé dans le feu de l’action de façon quasi permanente justifiait un retex rapidement expédié.

Conclusion

Si une organisation veut se donner les moyens de sa réussite collective, il lui est indispensable d’analyser ce qui n’a pas suffisamment bien fonctionné jusqu’alors, ce qui, en d’autres termes, s’appelle organiser un retex. Alors qu’il permet l’amélioration du fonctionnement de l’organisation, nous avons vu pourquoi il était peu prisé : source d’innovation donc de perturbations de la façon de faire adoptée jusqu’alors, il n’aboutit pas à la désignation d’un bouc émissaire qui exonère les autres d’une remise en question, il tire profit des leçons du passé et nécessite du temps.

Si elle vise une amélioration collective, une organisation doit impliquer dans le retex tous les membres concernés par l’action étudiée et les laisser s’exprimer librement et sans crainte. L’exercice peut sembler difficile, surtout si le poids de la hiérarchie est important. Un procédé intéressant m’avait été indiqué il y a quelques années, à l’occasion de la réalisation du MOOC gestion de crise : le chef d’état-major de la BSPP avait déclaré qu’après chaque intervention, chaque membre de l’équipe exposait devant tous les autres non pas ses griefs envers chacun, mais la façon dont il avait vécu l’intervention, ce qui évite le “tu qui tue”.

Pourquoi  ne pas généraliser cette façon de faire ?

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