Leçons d’un incident
Il y a quelques jours, le déroulement d’un trajet par voie ferrée entre Paris et Angers a été non pas inattendu hélas, mais fort désagréable. Néanmoins, quelques leçons peuvent en être tirées. Partant de Paris à 18h05 par TER, je devais arriver au Mans à 20h22 pour en repartir à 20h47 et arriver à Angers à 21h29. Le TER partit à l’heure mais les désagréments débutèrent vers Epernon où nous apprîmes qu’une vitre brisée ralentissait le train. A partir de là, tout alla de mal en pis. Des retards grandissant étaient annoncés, aucune information sur les correspondances au Mans n’était diffusée dans le train, les touits envoyés à la SNCF signalant le risque d’absence de correspondance possible au Mans au vu de l’heure prévue d’arrivée obtenaient d’abord une réponse ahurissante (Bonjour, je vous invite à envoyer votre demande via le site TER de la région dédiée. Passez une bonne soirée) puis hallucinante (Je vous invite donc à vous rapprocher du personnel en gare. A nouveau, passez une bonne soirée) avant de susciter le désintérêt du community manager. L’annonce relative aux correspondances qui était promise “peu de temps après le départ de Chartres” selon le contrôleur, n’eut finalement lieu que peu de temps avant l’arrivée au Mans.
Outre la qualité de service toujours perfectible de la SNCF, quelles leçons tirer de cet incident ?
Résolution quantique ou résolution réelle
Puisque finalement un train (Corail je crois, selon les paroles du contrôleur) a été affrété au Mans pour ceux qui devaient voyager jusqu’à Quimper, il est possible d’estimer que l’incident a été résolu : la SNCF a permis à tous les voyageurs d’atteindre leur destination. Nul doute d’ailleurs que l’entreprise estimera l’affaire réglée, d’autant que la vitre brisée étant due à un acte de malveillance, aucune compensation pour le retard du TER n’a été évoquée. Comme la SNCF a présenté ses excuses et remercié les voyageurs de leur patience, l’incident est clos pour elle.
Il est toutefois possible d’estimer que l’incident n’a pas été résolu, d’où l’emploi du qualificatif de quantique : il a été résolu tout en ne l’étant pas. Pourquoi ? Parce que l’information donnée aux voyageurs a été plus que défaillante. Comme exposé supra, aucune annonce sur les correspondances attendues n’a été donnée aux voyageurs jusque tard dans le trajet. De plus, le temps de trajet n’a pas été respecté : lorsque la SNCF vend des billets de train, elle indique des heures de départ et d’arrivée, ce qui constitue un engagement. Ajoutons également le manque de respect des personnes et de leurs rythmes physiologiques : ceux qui veulent arriver à 23h prennent un billet en conséquence. Choisir d’arriver à 21h30 ne signifie pas acceptation d’une arrivée à 23h. Enfin, le bilan carbone n’a pas été respecté puisque, devant le retard de la SNCF à annoncer les nouvelles correspondances, j’ai demandé à être récupéré en voiture au Mans : un aller-retour en voiture à mettre au débit de l’entreprise nationale.
Pour sortir de cette apparente aporie (l’incident est résolu sans être résolu) propice à des polémiques, il est nécessaire de définir de nouveaux indicateurs de résolution des incidents. De même qu’il existe une comptabilité financière et une comptabilité analytique, plusieurs résultats de la résolution de l’incident doivent être exposés : le résultat apparent, à savoir l’accomplissement de la mission initiale, mais aussi le résultat réel qui prend en compte les conséquences de l’incident. Dans le cas du retard d’un train, le résultat apparent serait l’acheminement des voyageurs à destination, le résultat réel comprendrait l’heure d’arrivée, les désagréments imposés de facto aux voyageurs (annulation ou report de rencontres ou rendez-vous, problèmes de correspondance, etc.). Si l’on prend le cas de la marée noire dans le golfe du Mexique causée par BP en 2010, le résultat apparent est le colmatage de la fuite, mais le résultat réel prend en compte toutes les atteintes à la biodiversité, les manques à gagner des pêcheurs locaux, etc. Il est clair que le résultat réel est bien plus difficile à estimer que le résultat apparent, mais c’est le seul à prendre en compte pour que les organisations confrontées à des incidents s’améliorent : si l’on affirme vouloir apprendre de ses échecs, la première étape est de les reconnaître, mais cela ne semble pas être le cas pour toutes les organisations. Preuve en est que les trains français continuent d’être en retard, la SNCF évoquant une subtilité pour calculer le taux de régularité des trains : il correspond au pourcentage de trains arrivant à l’heure ou avec moins de 15 minutes de retard. Ce qui montre que, pour la SNCF, un retard de 15 minutes est acceptable, et qu’un train peut arriver en retard sur l’horaire prévu sans être estimé en retard par la SNCF. Nous passons presque du quantique à l’absurde… A moins que la SNCF distingue les retards apparents (pour l’usager) du retard réel (estimé par l’entreprise).
Améliorer le résultat réel des incidents
Lorsqu’un incident a lieu, l’entreprise communique à son avantage, ce qui est logique, et donc seul le résultat apparent sera exposé, d’autant qu’il est défini par la seule entreprise : l’acheminement des voyageurs pour la SNCF, quelle que soit leur heure d’arrivée. Si l’entreprise est satisfaite, le client (ou l’usager selon le cas de figure) ne l’est pas forcément. La question de savoir comment améliorer le résultat réel des incidents se pose alors.
Puisque nous avons vu que la prise en compte du seul résultat apparent conduit à des dérives qui ont lieu au détriment des clients (SNCF) ou de l’environnement (BP), il nous semble nécessaire de prendre en compte le résultat réel et de communiquer dessus. Cela modérera l’enthousiasme de l’entreprise à se glorifier, mais pour apprendre de ses erreurs… N’accepter que le résultat apparent incite à tricher de plus en plus : actuellement, 15 minutes de retard, ce n’est finalement pas grave… Cela dépend pour qui.
D’autres points doivent être pris en compte, et pour cela il est utile de poser la question de la responsabilité de l’entreprise. En cas d’incident, de quoi est-elle responsable ? Elle est directement responsable des engagements qu’elle a pris, à savoir l’arrivée à destination et le respect des horaires dans le cas de la SNCF. Notons que la presse française se fait régulièrement l’écho de compagnies ferroviaires étrangères qui respectent scrupuleusement leurs horaires, ce qui prouve que c’est possible. Elle est également directement responsable de la vitesse à laquelle elle résout l’incident : si elle n’est pas responsable de la cause de l’incident, elle est cependant responsable de sa résolution au plus vite. Or, dans le cas d’espèce de la SNCF, il s’est écoulé plus de 2 heures entre l’incident initial évoqué supra (une vitre cassée) et la proposition de solutions d’acheminement aux voyageurs. C’est beaucoup, beaucoup trop même, et ce ne peut être la faute de la fatalité. Il se peut que le processus de résolution des incidents soit défaillant, que la communication le soit, ou que les deux le soient simultanément.
Elle est aussi indirectement responsable des conséquences de sa lenteur à résoudre l’incident. Quinze minutes de retard peuvent suffire pour louper une correspondance, un rendez-vous, un événement privé, etc. De tout cela, l’entreprise se lave les mains, mais si elle avait tenu les engagements pris, les désagréments ne pourraient lui être imputés.
De plus, ne communiquer aux voyageurs que des informations relatives au retard du train et non au déroulement complet de leur trajet les infantilise et les empêche de trouver par eux-mêmes une solution plus adaptée à leurs besoins que celle proposée par l’opérateur. Tous les voyageurs ne sont pas des spécialistes de l’acheminement par rail, mais ils savent mieux que la SNCF les événements qu’ils privilégient pour la suite de leur trajet. Ne pas les informer au plus vite revient donc à les mépriser, car c’est leur dénier la capacité à résoudre eux-mêmes une partie du problème qu’ils doivent subir. Notons que, parfois, les entreprises savent “faire confiance” aux personnes : lorsqu’elles licencient, bien peu s’engagent à aider leurs anciens salariés à retrouver un emploi, préférant leur déclarer “je te fais confiance, tu sauras rebondir.”
Enfin, il semble indispensable d’anticiper les problèmes qualifiés de nouveaux, car mis sur le compte du réchauffement climatique tels que les effondrements de voie ou les impossibilités de faire rouler les trains à cause des pluies abondantes, pourtant prévues par la météo. NDLR : le train qui devait m’acheminer de Toulouse à Angers est parti avec 2h30 de retard suite à l’épisode météo du début de semaine…
Conclusion
Il existe donc deux possibilités de régler un incident. Soit il n’est résolu qu’à travers le prisme de la responsabilité restreinte de l’entreprise (le train est arrivé à l’heure, la fuite a été colmatée) laquelle est la seule à définir les critères du résultat apparent, soit il l’est en acceptant la responsabilité élargie de l’entreprise, à savoir le fait que des personnes lui ont confié temporairement une partie de leur destinée et qu’elles attendent donc qu’en cas d’incident elles n’en pâtissent pas trop. Notons que l’époque incite les entreprises à prendre en compte leur responsabilité élargie à savoir leurs actions et l’impact de leurs actions sur l’environnement (terme à prendre dans un sens large) et non leur responsabilité restreinte qu’elles sont les seules à définir et qu’elles ont tendance à restreindre de plus en plus. Ce mouvement prendra du temps, comme toute réforme.
Nous pouvons également nous demander pourquoi, si ces leçons ne sont pas nouvelles, elles demeurent hélas d’actualité.